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Frachet Albert Camus
22 février 2019

Albert Camus et Jean Grenier

Ce livre témoignage sur Albert Camus qui porte ce titre éponyme, a été écrit par son ami l'écrivain Jean Grenier.

Référence : "Albert Camus", Souvenirs, Jean Grenier, éditions NRF/Gallimard, 1968
 
             
Jean Grenier                            Albert Camus chez Jean Grenier et sa femme
 
Cette amitié entre Albert Camus et Jean Grenier, qui ne se démentit jamais, commença au lycée d'Alger quand ce dernier devint le professeur de philosophie de ce jeune homme de 17 ans venu de Belcourt, quartier pauvre de la ville. Camus, d'une fidélité indéfectible en amitié, a toujours reconnu ce qu'il lui devait, son influence sur sa pensée, surtout dans ses débuts. Ce livre porte bien ce sous titre de "souvenirs" pour se démarquer du récit biographique et parcourt leur amitié à travers des rapports passés au tamis de la mémoire.
 
Cet homme discret, qui dans sa présentation dit ses réticences, nous livre son témoignage sur leurs discussions touchant l'Algérie bien sûr, et souvent la politique, la religion, la littérature... de quoi connaître un peu mieux, sous un nouvel angle, l'homme Camus et avoir un éclairage différents sur ses écrits. Cette pudeur réciproque, on la retrouver dans ce souvenir marquant qui ouvre le livre quand Camus souffre de montrer à son professeur son intimité, ses conditions de vie fort modestes. Une pudeur pense Jean grenier "qui a fait dire des âmes nobles qu'elle ne veulent par faire partager le trouble qu'elles ressentent." Pudeur et fierté lui dictent de refuser aide et compromis, ce qui se traduira dans son œuvre par une rigueur exigeante dans l'expression et les thèmes qu'il développera. Il refusa le poste de professeur qu'on lui offrait à Bel-Abbès, étant "juge exact de sa valeur... en revanche il avait à se faire reconnaître par les autres."


 
"Écrire, c'est mettre en ordre ses obsessions" note Jean Grenier. Si influence il a exercé, c'est à son corps défendant. Inspirateur, au moins au début, concède-t-il, surtout avec son récit Les Îles, symbole de l'isolement, vision pessimiste du monde qui fera dire à Camus : "Jean Grenier n'est pas un humaniste." Camus c'est au contraire la révolte et l'espoir, ce qu'il a appelé son passage "du non au oui". [1] Esprit avant tout curieux et concret, il se méfiait de "l'existentiel". Un homme à facettes où prédominaient tout à tour "l'homme heureux" avec sa part de chance et "l'homme fier", l'homme du sud attaché à ses idées et les défendant pied à pied. Outre "Les Îles" dont il écrira la préface de la réédition, Camus trouve dans "Inspirations méditerranéennes" "la passion du soleil" et dans "L'esprit d'orthodoxie", "l'amour de la vérité".
 
Dans les années trente, Camus anime le Théâtre du Travail, [2] joue Le temps du mépris de Malraux dans la salle des Bains Padovani à Bab-el-Oued, adhère au Parti communiste et croit à une vie meilleure pour les arabes. C'est sur les conseils de Jean Grenier qu'il adhère au PCF, pour "faire évoluer les choses". [3] Contrairement à beaucoup d'autres, il s'engageait avec fermeté pour les causes qui lui paraissaient justes, comme pour Gary Davis refusant d'être mobilisé, restant discret sur son action dans ses relations privées; double attitude d'un homme qui passait pour sévère en public et plutôt décontracté en privé. Le moraliste aimait "la justice et la vérité", l'homme se sentait parfois bien seul et cherchait quelques certitudes parmi se doutes.
 
Camus concevait le théâtre comme un jeu charnel dominé par le mouvement, non comme un vecteur d'idées. Il porte "la marque d'une nostalgie de l'absolu" pense Jean grenier, celle de la mer et du soleil dans "Le Malentendu", celle de la perte de l'absolu dans "Caligula".


      
 
Dans L'Homme révolté, Camus s'attèle à démontrer la nocivité du culte de l'histoire et de la volonté de puissance. Dans cette logique, il dénonce l'approche hégélienne et critique certains aspects du surhomme nietzchéen. Il se tourne de nouveau vers la Grèce, confiant à Jean Grenier : "Plus j'avance et plus je suis étonné par la quantité de choses toujours vraies et neuves que les Grecs ont formulées." Au retour d'un voyage en Amérique, il est atteint d'une de ces crises de confiance, de découragement dont il est parfois victime. Il doute du succès de L'Homme révolté, se demandant s'il existe vraiment des valeurs éternelles, tachant comme il l'écrit "de faire son profit de l'ombre comme du soleil." Entre innocence et culpabilité, "ni bourreaux, ni victimes" écrira-t-il dans le journal Combat à cette époque, il cherche sa voie.
 
Son théâtre lui apporte alors peu de satisfactions, surtout après le double échec de L'État de siège puis des Justes. Après 1955 et la parution de L'Exil et le royaume, il voulait se lancer dans un récit qui ne soit pas comme les précédents ce qu'il appelle "un mythe organisé" mais "un roman d'éducation" par référence à L'Éducation sentimentale de Flaubert. Ce récit biographique, Le Premier homme, qui restera inachevé, il l'écrivit en grande partie à Lourmarin où il comptait s'installer loin du bruit et des rumeurs de Paris.
 
Jean Grenier eut l'occasion de rencontrer à Alger l'oncle Aicault chez qui Camus résidait alors. [4] C'était un homme affable et exubérant qui fit découvrir à son neveu l'œuvre d'Anatole France et Ulysse de James Joyce. De son côté, Grenier l'initia à Gide et Proust, qu'il apprécie beaucoup, se demandant ce qu'on peut bien pouvoir écrire après ce dernier. Il lui présente aussi Charlot, jeune homme de son âge qui deviendra vite éditeur et publiera à Alger les deux premiers livres de Camus L'Envers et l'endroit puis Noces, qui auront leur succès dans le milieu estudiantin. C'est l'époque où le touche des romans tels que La Douleur d'André de Richaud et La Maison du peuple de Louis Guilloux où on trouve une enfance pauvre à la soue de l'œuvre, "changer le malheur en beauté, écrit Grenier, comme si celle-ci ne pouvait entrer en nous que par une blessure." 
 
Notes et références
[1] Voir par exemple dans L'Envers et l'endroit, la nouvelle intitulée "Entre oui et non"
[2] qui deviendra bientôt Le Théâtre de l'Équipe
[3] Voir sa lettre à Jean Grenier du 21 juin 1934 où il se refusera toujours "à mettre entre la vie et l'homme, un volume du Capital." 
[4] Il y résida quelques mois après sa première attaque sérieuse de tuberculose (NDLR)
 
Voir les articles : Camus libertaire, Camus et Nietzsche

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