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Frachet Albert Camus
22 février 2019

Michel Onfray, Camus et l'ordre libertaire

 <<<<<<<<<<<<<<<<< La vie philosophique d'Albert Camus >>>>>>>>>>>>>>>>>
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La vie philosophique de Camus
 
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1- Albert Camus philosophe
2- Héritage et maladie
3- L'Homme révolté
4- Un authentique camusien
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1- Albert Camus philosophe
 
« Camus philosophe ? », ce qui semble paradoxal quand on se souvient des dénégations d'Albert Camus sur ce sujet. « Oui, bien sûr » répond Michel Onfray. Philosophe non comme l'intellectuel issu du sérail et construisant sa glose sur la pensée de ses prédécesseurs mais comme un penseur engagé dans son siècle et qui évalue le chemin parcouru, en détermine sa vérité humaine.
 
Camus fut un homme très calomnié de son vivant, en butte aux attaques de tout bord, peut-être parce qu'il était avant tout un non-conformiste, refusant la tradition conservatrice comme les révolutions, rejetant le conformisme lénifiant de droite comme la dictature du prolétariat, mettant en fait dans le même panier ordre capitaliste et ordre totalitaire, leur préférant un ordre libertaire. pour lui, pas de pensée unique. Son objectif était de replacer l'homme au centre de sa pensée, d'où le caractère profondément humain de sa démarche avec les doutes et les approximations qu'elle suppose. Sartre et les sartriens ont lancé l'anathème sur son œuvre et, plus grave, ont voulu déconsidérer l'homme. Entreprise de sape qui, à défaut de l'abattre, lui a fait beaucoup de mal.
 
Michel Onfray passe tout en revue, reprend textes, biographies et écrits de ses adversaires, démontant les accusations sans fondement d'un Camus "philosophe pour classes terminales", [1] d'un Camus défenseur des colons d'Algérie, de ces "petits Blancs" dont il est issu. 
Il décrit un Camus fidèle à l'image qu'il a laissée, à ce qu'on connaît de sa biographie [2] fidèle à la figure d'un père qu'il n'a jamais connu -"Un homme, ça s'empêche"- et sur les traces duquel il va marcher [3], fidèle à une mère modeste femme de ménage, mal-entendante et murée dans son silence, habitant Belcourt l'un des quartiers pauvres d'Alger, fidèle à ses idéaux au point de s'engager dans une lutte incertaine contre le pouvoir colonial et , malgré sa tuberculose, ensuite dans la Résistance, fidèle à ses idéaux, à sa cohérence intellectuelle, quittant le Parti communiste après un bref passage, sentant toujours la présence de la Méditerranée et de cette "pensée du midi" qu'il regrettera avec nostalgie quand il sera installé à Paris.
 
Concernant Jean-Paul Sartre, il met le doigt là où ça fait mal, rappelant la légende d'un Sartre "intellectuel-résistant" construite par les sartriens et Simone de Beauvoir après la guerre, qu'il s'est incliné devant la violence, qu'elle vienne des régimes communistes ou du terrorisme FLN, qui déclara « Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande » et fit l'éloge de Jean Giraudoux en 1943 dans la revue collaborationniste "Comœdia".
 
Concernant Albert Camus, les convergences sont nombreuses entre les deux hommes : père ouvrier agricole, mère femme de ménage, d'une certaine façon des "étrangers", l'un algérien, l'autre normand, à l'intelligentsia parisienne et ne s'y étant jamais vraiment adaptés [4] Ils ont reconnu aussi un maître, Jean Grenier pour Camus, Lucien Jerphagnon pour Onfray, la figure de proue de Niezsche avec en toile de fond une remise en cause des idées, des systèmes à la mode que dénoncent Camus dans L'Homme révolté et Onfray avec sa remise en cause du freudisme dans Le crépuscule d'une idole. Celui qui réduit le vivant à des concepts et se livre à de pures opérations de l'esprit. Ou bien celui qui, tel Socrate, Épicure ou Camus, permet "la sculpture de soi pour quiconque souhaite donner un sens à sa vie". C'est peut-être pourquoi Camus n'a pas pris une seule ride.
 
Si le dessein de Michel Onfray est de montrer que Camus fut d'abord et avant toute chose un amoureux de la vie, ce qu'il appelle un hédoniste, un homme de gauche et libertaire, anticolonialiste soucieux de défendre à Alger-Républicain la justice et homme de liberté dénonçant les totalitarismes de tout bord, il en apporte la démonstration aussi bien à travers les écrits de Camus que dans sa vie, ses actions et ses prises de position. Il dresse aussi un portrait de l'homme-Camus, la découverte des quartiers riches d'Alger quand il fréquente le lycée Bugeaud au centre ville et qu'il compare avec son pauvre quartier de Belcourt, souffrant très tôt dans sa chair de cette tuberculose qui le handicapera toujours, puis une vie qui oscilla souvent entre un hédonisme solaire cher à Onfray et la rigueur de l'écrivain.
 
La philosophie est trop souvent circonscrite à des concepts alors que son rôle traduit par Socrate, Épicure ou Camus, permet « la sculpture de soi par quiconque souhaite donner un sens à sa vie. » Camus était en phase avec son temps quand ça correspondait à ses conceptions et à ses engagements, la révolte contre les inégalités, contre l'injustice, contre l'Occupant pendant la guerre, mais il s'opposait à ses excès, se révoltant contre le dangereux laxisme des démocraties, l'égoïsme coupable du capitalisme ou les tentations totalitaires des communistes et de leurs alliés. Ce qui effectivement faisait beaucoup de monde.
 
Sur les traces de Camus l'algérois
 
   
Michel Onfray à Alger sur les traces de Camus
 
De Camus à Alger, il reste pratiquement rien aujourd'hui. Au 93 rue de Lyon, devenue la rue Mohamed Belouizdad, Michel Onfray ne recueille que quelques bribes de souvenirs, la vie d'une famille pauvre, la mère et la grand-mère qui cherchent au marché les dentées les moins chères, la mère qui fait des ménages dans le quartier, chez le boulanger, pour faire subsister la famille.
 
Camus n'a jamais oublié, écrivant un jour vouloir « arracher cette famille pauvre au destin de l'Histoire qui est de disparaître sans laisser de traces. » L'autre face de la grisaille de Paris, de Lyon ou même de Prague, dont il se plaint, c'est le symbole de Tipasa au pied de la montagne du Chenoua près d'Alger où il peut se baigner dans une mer « vivante et savoureuse », se promener parmi les ruines romaines dans « le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent... »
 
Son poème panthéiste, Noces à Tipasa, dont Michel Onfray dit qu'il est « au rebours de la phénoménologie qui complique tour avec des néologismes, » [5] est un chant à d'exaltation de la nature, nécessaire communion avec la nature humaine. Sur le site de Tipasa, où Michel Onfray est allé repérer les traces de Camus, une stèle surplombant la mer, a été érigée avec cette citation : « Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. »
2- Héritage familial et maladie
A travers les souvenirs épars sur son père et le silence éloquent de sa mère, l'enfant s'est construit dans ce climat qui gouvernera sa vie. Les dés sont jetés, son enfance livre « le secret de la constitution organique de cette sensibilité anarchiste qui se traduit par une autonomie farouche, » refusant de suivre le gros de la troupe comme de servir de guide. Puisque sa mère est douce, résignée, mutique, il sera celui qui la protège, celui qui se révolte contre l'ordre établi et contre la condition humaine, celui qui parle au nom de tous ceux qui sont trop inhibés pour oser se faire entendre.
 
Le Premier homme, ce roman-récit qui lui tenait tant à cœur et que la mort a interrompu, il le dédiera à sa mère : « A toi qui ne pourras jamais lire ce livre. » Il sait par expérience,, par sa passé, le poids de la pauvreté : un vocabulaire réduit à l'utile, un univers réduit aux gestes d'un quotidien tourné uniquement vers la survie. Les objets reflètent ce caractère d'utilité, ils ne possèdent pas comme chez les riches leurs caractéristiques, le nom de leur origine, ce "grès flambé des Vosges" ou ce "service de Quimper", ces bibelots décoratifs et inutiles.
 
Une autre épreuve a modifier sa psyché et bouleverser sa vie : le compagnonnage de cette tuberculose qu'il découvre à 17 ans en décembre 1930. Jusque là, ce n'était que grand fatigue et signes avant-coureurs mais la maladie s'est peu à peu installée. Les conséquences seront à la hauteur du mal et qui se traduiront par ce sentiment absurde de la vie qui explosera dans Caligulaet qu'il sublimera dans La Mort heureuse'.
 
Il se contraindra dans le sport qu'il aime tant, nager et s'ébattre dans la Méditerranée, jouer au football avec ses copains au RUA', le club d'Alger, savoir en fin de compte que « Éros et Thanotos sont l'envers et l'endroit. » Mais Michel Onfray voit aussi dans cette maladie une chance pour Camus : il a échappé « au dressage idéologique de la reproduction sociale... et puisera dans le monde riche de son enfance pauvre. »
3- L'Homme révolté
Camus a été de tous les combats... bien avant Sartre. C'est sans doute ce qui les a le plus séparés ce leadership sur l'idéologie, même s'il n'a jamais constitué pour Camus une préoccupation. Michel Onfray voit en Sartre l'homme des occasions manquées. Vivant en Allemagne, il n'a pas vu la montée du nazisme. Il a surtout commis des imprudences, profitant de vacances avantageuses en Italie en 1933, proposées par les fascistes italiens, il a publié dans la revue "collabo" Comœdia en 1941 et 1944, obtenu que Simone de Beauvoir travaille pour Radio-Vichy... tandis que Camus entre en résistance et prête sa plume au journal Combat.
 
La longue polémique au sujet de L'Homme révolté est l'occasion de coups bas contre un Camus incapable de saisir les concepts philosophiques et lisant des ouvrages de "seconde main". Pour Sartre, la guerre d'Algérie sonne l'occasion de la revanche : il sera le champion de la libération des peuples et de l'anti-colonialisme contre les "Pieds-noirs" et les "Petits-blancs" dont est issu Camus et qui de ce fait serait leur défenseur naturel. Mais Camus a déjà été communiste en 1935 puis est parti en 1937, écœuré des volte-faces du Parti. Il a déjà été anti-colonialiste, dénonçant ses effets dévastateurs en Kalylie dans le journal Alger-Républicain, [6] célébrant en pionnier la culture indigène , la nouvelle culture méditerranéenne dans un texte de février 1937 ou publiant par exemple le 25 avril 1939 un article intitulé "Contre l'impérialisme".
 
Attitude qu'il a payée au prix fort en étant expulsé d'Algérie par le pouvoir colonial à la veille de guerre; « Camus veut un Nietzsche solaire contre un Hegel nocturne conclut Michel Onfray. » Camus ira même bien plus loin en proposant le "douar-commune", système d'autogestion d'une population locale, coopératif et fédératif, solution proudhonienne qui redonne aux villageois les moyens de se gouverner eux-mêmes.
 
4- Michel Onfray, un authentique camusien, d'après Jean Daniel

Auteur de "Avec Camus", Jean Daniel qui fut son ami, a lu "l'Ordre libertaire" de Michel Onfray. "Une bouffée de jeunesse", se réjouit-il.
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Camus et Onfray
 
Si Michel Onfray, comme il le dit dans sa dédicace, n'a rien à apprendre à Jean Daniel sur les faits, mais sur « la façon de les ordonner et de leur procurer un sens, » il en va différemment. Parlant de l'humeur anti sartrienne d'Onfray, il rappelle que Sartre a écrit, après la mort brutale de Camus :
«Il (Camus) représentait en ce siècle, et contre l'Histoire, l'héritier actuel de cette longue lignée de moralistes dont les œuvres constituent peut-être ce qu'il y a de plus original dans les lettres françaises.  »
 
Texte réparateur, non dépourvu d'ironie, contenant aussi une autocritique dans la condamnation « des mandarins hégéliens, des snobs de l'hermétisme », tout ce monde que Camus a critiqué dans l'Homme révolté. A côté de ça, que pèse la malveillance de Jean-Jacques Brochier, comment encore s'en indigner sans perdre son temps ?
 
S'il importe à Michel Onfray d'évoquer "le vrai Nietzche", « ce grand libérateur qui s'est installé "par-delà le bien et le mal" dans un amoralisme désenchaîné  », y trouvant la source de l'immanence foncière de l'homme et de la prééminence du présent. Au-delà du silence de la mère, Jean Daniel a aimé aussi retrouver l'hédonisme païen du soleil et des plages algéroises, l'explosion sensuelle de Tipasa opposée au panthéisme sévère des ruines de Djemila. Sa pensée a ceci d'irremplaçable que Camus s'est battu pour "faire son métier d'homme", sans rien attendre d'une transcendance que la mort. Ce fut sa façon de refuser la violence qui porte atteinte à l'homme et de l'accepter quand il s'agit de combattre l'injustice et l'humiliation, c'est-à-dire le colonialisme et le capitalisme. Mais cette "défense et illustration" de Camus ne doit se transformer en récupération.
 
Concernant l'Algérie, Camus défendait une "autonomie égalitaire", rejetant la colonisation qu'il a de tout temps combattue, ce qui ne conduisait pas forcément à l'indépendance. La guerre prise en répression et terrorisme, a finalement rendu impossible tout dialogue et c'est dans ce contexte que Camus a prononcé cette phrase souvent déformée qui lui fut longtemps reprochée, faisant référence à une conception terroriste de la justice, qui pouvait tuer sa mère : « J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément dans les rues d'Alger, par exemple, et qui, un jour, peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice mais je défendrai ma mère avant la justice.  »
Albert  Camus souhaitait une communauté multiraciale mais il redoutait la puissance un islam dominant, reposant sur le panarabisme de l'Égypte nassérienne. Il aura cette formule pour exprimer son désarroi et sa lucidité : « L'important est que nous soyons vous et moi déchirés » confia-t-il à Jean Daniel.
 
Pour ce qui concerne ce titre oxymore "L'ordre libertaire", il est difficile de parler d'un "nietzschéisme libertaire" de Camus, même s'il a toujours été près d'une certaine tradition proudhonienne, des anarchistes espagnols et de ses amis anarcho-syndicalistes de la revue "la Révolution prolétarienne". Ce refus du pouvoir, Camus le voulait mélange de consentement et de révolte, refuser l’impossible et accepter un certain ordre fait de liberté mâtinée d’anarchisme pacifique.
 
Camus confie à Jean Daniel sa position par rapport à la violence, thème qu’il a traité dans la violence d’état de Caligula ou dans celle des terroristes de sa pièce Les Justes, dont il disait « A partir du moment où un opprimé prend les armes au nom de la justice, il met un pied dans le camp de l'injustice. » Cette réflexion rejoint la position de la philosophe juive Simone Weil. [7] 
Cette démarche est d’autant plus intéressante qu’elle concerne les rapports qu’entretenait Camus avec le fait religieux, avec Pascal qui « me bouleverse mais il ne me convainc pas » et surtout avec Dostoëvski. Il faut se souvenir que Camus changeait chaque jour le tableau accroché au-dessus de sa tête dans son bureau, remplaçant tour à tour Pascal par Dostoïevski puis par Nietzsche, symbole qui n’est pas anodin. [8] De ce point de vue, il est dommage que Michel Onfray ait négligé la dimension dostoïevskienne d’un Camus qui, s’il « refusait la transcendance, ne mettait jamais en cause le mystère du Christ. »
 
Voir aussi :
Références
  1. ↑ Titre d'un essai-pamphlet de Jean-Jacques Brochier, voir ma présentation dans l'article Albert Camus (Brochier)
  2. ↑ Voir l'imposante biographie de Jean Lacouture
  3. ↑ Voir son roman Le Premier homme
  4. ↑ Onfray restant 'chez lui' en Normandie et Camus s'apprêtant peu avant sa mort, à s'installer dans le Vaucluse à Lourmarin
  5. ↑ Il ajoute "qu'il fait de la métaphysique sans en avoir l'air, avec des mots simples"
  6. ↑ Dès 1939, dans "Misère de la Kabylie", Camus dénonce la surpopulation, l'exploitation, la mortalité infantile, l'illettrisme, le travail des enfants...
  7. ↑ Revenant à Paris, le lendemain du prix Nobel, la première chose que fit Camus a été d'aller se recueillir sur la tombe de Simone Weil.
  8. ↑ Souvenirs de Suzanne Agnelli, l'assistante de Camus chez Gallimard. 
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