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Frachet Albert Camus
1 septembre 2019

Camus-Chiaromonte Correspondance

Référence : Correspondance Albert Camus-Nicola Chiaromonte (1945-1959), éditions Gallimard, Collection Blanche, 233 pages, juin 2019
Édition établie, présentée et annotée par Samantha Novello.

                    
                                                         Albert Camus et Nicola Chiaromonte

Voilà une nouvelle (et peut-être la dernière) correspondance d’Albert Camus, cette fois avec l’écrivain italien Nicola Chiaromonte. J’avais lu en son temps les deux premières correspondances éditées, consacrées au « bon maître » Jean Grenier et à « son grand ami provençal » René Char, l’une que j’ai trouvée assez convenue et l’autre particulièrement intéressante entre deux écrivains qui, au-delà de l’amitié, exprime toute leur sensibilité.

       
Albert Camus avec René Char et Jean Grenier

Suivirent en 2013 les trois correspondances parues à l’occasion du centenaire de la naissance de Camus. Celle avec André Malraux marque bien l’ambivalence de leur relation, faite surtout de considération et de respect mutuel et celle avec Roger Martin du Gard qui m’a semblé d’abord celle d’une relation avec un aîné prestigieux, sa découverte du contraste saisissant entre les deux frères héros  des Thibaud, ce qui n’empêchera nullement entre eux un amour fraternel au-dessus des soubresauts de l’Histoire.
Un exemple sans doute pour Camus qui donnera toujours son amour et son amitié sans barguigner, sans arrière-pensées..

          
Albert Camus et Louis Guilloux
 
Autant de relations qui en tout cas contrastent avec celle de Louis Guilloux, le breton qui habitait vers Saint-Brieuc, près du cimetière où le père de Camus est enterré, une belle et bonne amitié qui s’exprime librement, naturellement, cimentée par un parcours et une approche assez voisine sur la condition humaine et leur engagement à gauche.
Autant de points communs pour résister au temps. Et l’on sait combien l’amitié était essentielle pour Albert Camus.

Nicola Chiaromonte exprimera ainsi son admiration pour Camus dès le 2 octobre 1945 : « Si, parmi tous les écrivains français, Albert Camus m’émeut tellement, en m’obligeant à une admiration presque sans réserve, c’est à cause de ce (…) retour sur soi-même si émouvant d’un esprit qui, hanté par l’horreur et l’absurde de notre monde, se refuse à l’ambiguïté au nom d’une droiture qui fait resplendir à nouveau (…) la lumière de la raison et la dignité de l’intransigeance morale. »

      
Albert Camus et Francis Ponge

Ils font connaissance en Algérie, au printemps de l’année 1941. Ils se trouvent beaucoup de points communs, antifascistes, passionnés de théâtre et engagés dans la lutte contre les totalitarismes de tous bords. [1] Militant dans le groupe Giustizia e Libertà qu’ont créé à Paris en 1929 des exilés italiens réunis autour de Carlo Rosselli, Chiaromonte avait rejoint Paris en 1934. Deux ans plus tard, il s’est engagé un temps dans la guerre d’Espagne auprès d’André Malraux [2]. Mais il prend ses distances, n’acceptant pas la mainmise des staliniens sur les Brigades internationales.

Lors de l’invasion allemande, il se réfugie d’abord à Toulouse, où il retrouve entre autres Jean Cassou, Edgar Morin et Georges Friedmann, Jean-Pierre Vernant, avant de rejoindre l’Algérie. Camus l’accueille à Oran pour quelque temps, où il réside avec Francine, avant qu’il parte pour New-York. Courte rencontre où naît une longue amitié.

   Camus et Roger Martin du Gard

Cette rencontre correspond pour Camus à une époque importante, il venait de finir son cycle de l’absurde [3] comme il l’indique lui-même dans ses Carnets (Carnets, 21 février 1941). Avec le soutien de Pascal Pia et André Malraux, L’Étranger fut accepté par Gallimard en novembre 1941 et parut en avril 1942. Mais en février, Camus subit une rechute de tuberculose et, après un séjour à Aïn-el-Turk, rejoint en août Le Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire. En septembre, paraît Le Mythe de Sisyphe, amputé, par crainte de la censure, du chapitre sur Kafka. Francine Camus retourne à Oran mais il ne pourra la rejoindre qu’à la Libération, les Allemands occupant la zone libre le 11 novembre 1942.

Jusqu’en 1943, Chiaromonte travaille à New York pour la gauche radicale et ne sait plus rien de Camus. Il faut l’arrivée de Sartre, envoyé par Combat pour faire des conférences et des reportages sur les États-Unis, pour qu’il renoue avec Camus.

Il le presse d’aller le voir aux États-Unis car « pour savoir ce que l’Europe peut être – et ce qu’il est inutile qu’elle essaye d’être – il faut savoir ce qu’est l’Amérique » (15 octobre 1945). Chiaromonte dénonce l’aversion des États-Unis pour tout ce qui n’est pas matériel : « L’Amérique est profondément hostile à ce qu’en Europe, et surtout en France, on appelle l’intelligence… La gratuité et l’insouciance de l’esprit n’ont tout simplement pas de place ici » (lettre à son ami Caffi d’août 1946). Il dira, à la lecture de L’Étranger et du Mythe de Sisyphe, éprouver non seulement « une grande admiration », mais « un sentiment de fraternité » envers celui qui représentera LA voix qui compte en France, voire en Europe, dans cette France « martyrisée, piétinée, avilie, détruite ».

     Camus et Malraux

Si Albert Camus est peu attiré par les États-Unis [4], sa vie à Paris est alors très difficile [5]
et il finira par se rendre à New-York en mars 1946 pour parler sur le thème de « La crise de l’homme ». Chiaromonte rejette pêle-mêle les concepts dépassés de « littérature bourgeoise et prolétarienne » ou encore de « littérature engagée » (1er février 1946). Il dénonce l’intolérance de Sartre et de ses amis, dont lui-même et Camus pâtiront bientôt, [6] en particulier lors des attaques contre Arthur Koestler, coupable d’avoir dénoncé les procès de Moscou.

Mais ce que veulent avant tout Albert Camus et Nicola Chiaromonte, c’est bâtir un espace de liberté contre toute forme de totalitarisme en privilégiant le droit des peuples et la liberté culturelle. Revenu en Europe en 1947, il défendra ces idées dans la revue Tempo presente à partir de 1956.
Il sera constamment aux côtés d’Albert Camus dans la querelle avec Sartre suscitée par la parution de L’Homme révolté, publiant une série d’articles pour défendre les choix de son ami sur une politique alternative en Algérie basée sur le dialogue entre les deux communautés.

    Camus et Sartre

S’ils sont en phase sur le plan intellectuel, évoluant dans une même communauté d’idées, comme le montre l’action de Chiaromonte qui fera connaître Camus en Italie [7], ils se retrouvent aussi sur cette sensibilité qui les caractérise, avec parfois des accents plus intimes comme cette remarque de Chiaromonte : « J’ai toujours eu besoin du Désir… ce désir qui malgré tout vous fait attendre le lendemain : avec impatience si l’aujourd’hui est morne – avec allégresse si la vie semble sourire. » (Chiaromonte le 3 juillet 1954)

Cette correspondance croisée réunit quelque quatre-vingt-dix lettres inédites, traduisant parfaitement l'exigence et la fraternité de ce dialogue épistolaire. Comme l’a écrit Albert Camus : « Nous sommes comme des témoins, en passe d'être accusés. Mais je ne veux pas vous laisser croire que je manque d'espoir. Il y a certaines choses pour lesquelles je me sens une obstination infinie. »

Notes et références
[1]
  Voir la biographie que lui a consacrée Cesare Panizza en 2017, Una biografia, Donzelli Editore, Rome.

[2] Il se souviendra de lui à travers le personnage de l’exilé anticommuniste et anarchisant Giovanni Scali dans L’Espoir.
[3] Cycle composé de L’Étranger, Caligula et Le Mythe de Sisyphe.
[4] Il écrira : « je ne suis que médiocrement attiré par ce pays (j’ai surtout envie de lumière, de soleil et, pourquoi pas, de bonheur physique) »
[5] Il écrira aussi : « Les trois quarts de mes journées sont livrés aux fonctionnaires, à des petites démarches, à des petits soucis. Pour que mon fils et ma fille soient seulement chauffés, je dois donner un temps qui suffirait à écrire La Comédie humaine. »

[6] « Je ne suis pas très bien avec l’équipe des Temps modernes, leur ayant dit, un peu grossièrement je le crains, ce que je pensais de la revue et des articles de Merleau-Ponty » (20 décembre 1946).
[7] Il fut un exceptionnel relais pour Camus en Italie, suivant les mises en scène de ses pièces, revoyant au besoin certaines traductions.

Voir mes autres fichiers :
* Albert Camus, Carnets, Actuelles
* Albert Camus, correspondances, «  Le centenaire de sa naissance »
* Correspondance Albert Camus-René Char
* Correspondance Albert Camus-Michel Vinaver
* Correspondance Albert Camus-Jean Grenier
* Jean Grenier, « Albert Camus, Souvenirs » --
* Albert Camus par Jean-Paul Sartre --

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