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Frachet Albert Camus
12 avril 2020

Albert Camus L’état de siège

«  De plus loin que je me souvienne, il a toujours suffi qu'un homme surmonte sa peur et se révolte pour que leur machine commence à grincer... » Albert Camus

       
Albert Camus au théâtre Antoine en 1959

L'État de siège, comme Caligula sa pièce précédente, est d’abord une réflexion sur le pouvoir absolu, ici plus particulièrement sur la dictature.  Comme Camus l’a située à Cadix en Espagne, c’est bien sûr la dictature franquiste qui est visée, continuité de la part de celui  qui soutiendra jusqu’à sa mort les républicains espagnols. [1] En ce sens, il avait au moins ce point en commun avec André Malraux. [2]

Et n’en déplaise à Gabriel Marcel qui critiqua ce choix et aurait préféré que fût visée la dictature stalinienne. En cette matière, Albert Camus n’avait nulle leçon à recevoir, pas plus de Gabriel Marcel que d’un autre.
Camus n'a-t-il pas confié à propos de cette pièce qu'elle était  « l’un des écrits qui me ressemble le plus ».

Ceci dit, on a beaucoup reproché à Camus une trop grande ambition pour cette pièce conçue au départ pour 26 acteurs et une durée de quelque 3 heures. Il avait d’ailleurs dit lui-même : « Mon but avoué était d'arracher le théâtre aux spéculations psychologiques et de faire retentir sur nos scènes murmurantes les grands cris qui courbent ou libèrent aujourd'hui des foules d'hommes. »

     
                                                          Cadix, ville où se situe la pièce

Cette ambition se retrouve dans l’objectif de Camus de faire de sa pièce un "spectacle" au sens médiéval du terme, référence aux "autos sacramentales" espagnoles. [3] Dans une interview, le premier metteur en scène de la pièce Jean-Louis Barrault a précisé  qu’il s’agissait « d'un spectacle dont l'ambition est de mêler toutes les formes d'expression dramatique depuis le monologue lyrique jusqu'au théâtre collectif, en passant par le jeu muet, le simple dialogue, la farce et le chœur. » D’où la profusion et la longueur du spectacle.

  Scène de l'état de siège

En 2016, la metteuse en scène Charlotte Rondelez en a donné une version plus courte et plus nerveuse, qui avait justement été saluée par la critique. Elle avait condensé la pièce, focalisée sur son fil conducteur, expurgeant les thèmes qui depuis ont perdu de leur intérêt comme la dénonciation du franquisme.
J’en avais donné à l’époque un compte-rendu que vous pourrez au besoin consulter en cliquant sur Rondelez L’état de siège . 

       
L'état de siège, mise en scène de Charlotte Rondelez et son portrait

La pièce repose sur la dimension socio-politique de La Peste,  l’instauration et le fonctionnement d’une dictature d’un régime totalitaire à travers l’instrumentalisation de la peur. Elle tourne autour de Quatre personnages dont chacun renvoie à un symbole : le symbole du pouvoir (la Peste), de l’absurde (la Secrétaire), de l’amour (Victoria) et de la révolte (Diego)

       

Une ville somme toute banale est soudain confrontée à une épidémie qui oblige à établir l’état de siège, symbole d’ordre et de contrôle. La terreur peut alors être instaurée jusqu’à ce que Diego prenne l’initiative de la révolte.

Ici, nul docteur Rieux comme dans La Peste, mais une autre figure de proue de la révolte, Diego, qui va en prendre la tête, une révolte contre le dictateur qu’on appelle "La Peste". Sur lui, aucun mécanisme de soumission à la peur ne fonctionne. Diego représente celui qui incarne la résistance, la révolte et la liberté contre tout ce qui est renoncement et passivité, autant de façons de baisser les bras,  favorisé par les techniques de manipulation que pratique le dictateur « Le désespoir est un bâillon. et c'est le tonnerre de l'espoir, la fulguration du bonheur qui déchirent le silence de cette ville assiégée. »

Contre le cynisme de La peste qui part du principe que « Si le crime devient la loi, il cesse d'être crime » (p 119), Camus a placé en contrepoint Diego et Victoria dont le credo est « Ni peur ni haine, c’est là notre victoire !  » (p 164)

        
L'état de siège, mise en scène d'Emmanuel Demarcy-Mota

Notes et références
[1] Voir à ce sujet mon article intitulé Camus et l’Espagne  --
[2] Voir à ce sujet mon article intitulé Camus et Malraux autour de l’Espagne  --
[3] Pièce de théâtre espagnole basée sur une allégorie religieuse comme par exemple Le Grand Théâtre du monde de Calderón, auteur que Camus appréciait beaucoup. Il avait d'ailleurs mis en scène en 1953 au festival d'Angers La Dévotion à la croix, autre pièce de Calderón.

Voir aussi
*Mon article sur La Mer et les prisons de Roger Quillot, 1ère partie, chapitre 7 : Du bon usage de la peste, Guerre et peste et L'État de siège : de l'apocalypse au martyre

Repères bibliographiques
Michel Autrand, « L’État de siège, ou le rêve de la ville au théâtre », dans Albert Camus et le théâtre, éd. Jacqueline Lévi-Valensi, Paris, IMEC, 1992, p. 57-70.

Madalina Grigore-Muresan, « Pouvoir politique et violence dans l’œuvre d’Albert Camus. La figure du tyran dans Caligula et L’État de siège », La Revue des lettres modernes, Série Albert Camus, éd. Philippe Vanney, no 22, 2009, p. 199-216.

Pierre-Louis REY, « Préface », p. 7-24 et « Dossier », p. 189-221, dans Albert Camus, L’État de siège, Paris, Gallimard, 1998

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