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Frachet Albert Camus
29 avril 2020

Albert Camus et la Grèce

     
Camus lors du voyage en Grèce de 1955

« Ces vingt jours de courses à travers la Grèce, je les contemple d’Athènes maintenant, avant mon départ, et ils m’apparaissent comme une seule et longue source de lumière que je pourrai garder au cœur de ma vie. » (Albert Camus, Carnets III).

Il rêvait de la Grèce comme d’une espèce de paradis perdu, il rêvait d’un voyage comme d’une communion. Déjà en 1936, il notait dans ses Carnets : « Voir la Grèce. Rêve qui faillit ne jamais s'accomplir. » Mais il rencontra longtemps des contretemps dus à la maladie et à la guerre… jusqu’aux deux voyages qu’il put enfin réaliser en 1955 et en 1958.
Ce rêve, on le voit se former dans la préparation du voyage avorté de septembre 1939, prenant beaucoup de notes sur les mythes et les légendes des grecs, déplorant dans Prométhée aux enfers en 1946 l’abandon de ce « projet somptueux de traverser une mer à la rencontre de la lumière. » Il l’évoque aussi dans Retour à Tipasa en 1952, constatant que « la guerre était venue jusqu'à nous, puis avait recouvert la Grèce elle-même. »   

Comme à son habitude, Camus nota dans ses Carnets les événements et ce que  lui inspirait son voyage, ce que lui évoquaient les lieux visités, les émotions qu’ils suscitaient.
Ses notes révèlent la profonde interrelation avec son œuvre antérieure et l’évolution de son état d’esprit.   

      
« Nous vivons ainsi le temps des grandes villes. Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence : la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs. » (L'Exil d'Hélène, 1940)

Le premier voyage au printemps 1955

Camus profite d’une invitation à un colloque de l’Union culturelle gréco-française sur "L’avenir de la civilisation européenne" pour se rendre à Athènes, visiter l’Acropole, « la lumière de 11 heures tombe à plein, […] entre dans le corps avec une rapidité douloureuse… le nettoie en même temps. [...] Les yeux s’ouvrent peu à peu et l’extravagante… beauté du lieu est accueillie dans un être purifié, passé au crésyl de la lumière. » C’est comme un bain de jouvence qui le lave des salissures de l’Europe occidentale. Son moral s’améliore rapidement et il peut écrire le 11 mai à son ami René Char : « Je vais revenir debout, enfin. »

Puis il part visiter les îles où il retrouve la lumière solaire d’Algérie, écrivant, toujours à René Char depuis l’île de Lesbos : « Je vis ici en bon sauvage, naviguant d’île en île, dans la même lumière qui continue depuis des jours, et dont je ne me rassasie pas. »

On peut le suivre presque à la trace à travers les nombreuses notations qu’il consigne dans ses Carnets.
À Mycènes, il est fasciné par la forteresse « couverte de coquelicots, » à Délos il écrit que « toute la Grèce que j’ai parcourue est en ce moment couverte de coquelicots et de milliers de fleurs. »

    Avec Michel Gallimard, sur son bateau

Au cap Sounion, c’est la quiétude : « Assis au pied du temple pour s’abriter du vent, la lumière aussitôt se fait plus pure dans une sorte de jaillissement immobile. Au loin des îles dérivent. Pas un oiseau. La mer mousse légèrement jusqu’à l’horizon. Instant parfait. »

C’est toujours cette lumière pure qui le subjugue en Argolide : L’Argolide : « Au bout d’une heure de route, je suis littéralement ivre de lumière, la tête pleine d’éclats et de cris silencieux, avec dans l’antre du cœur une joie énorme, un rire interminable, celui de la connaissance, après quoi tout peut survenir et tout est accepté. »
Le plaisir des sens, c’est aussi Mikonos et l'odeur entêtante du chèvrefeuille, Lindos et « l’odeur  d’écume, de chaleur, d’ânes et d’herbes, de fumée… »
Comme à Tipasa, Camus respire les exhalaisons des plantes écrasées de soleil, comme si pendant ce temps, la tuberculose s'éloignait de lui, au Pirée, il est heureux de "sentir" l'eau et à Salonique, c'est « la belle odeur de sel et de nuit » et les baignades lui rappellent les plages d'Alger...

                                
Albert Camus avec sa fille Catherine Grèce, 1958    Albert Camus & Michel Gallimard, Grèce, 1958

Le second voyage à l'été 1958

Ce second voyage en juin 1958 durera une vingtaine de jours. Là encore, Camus renoue avec ses souvenirs de jeunesse et les plages d'Alger comme il l'écrit dans cette lettre à son ami Jean Grenier : « Je quitte le bateau le matin tôt, seul, et vais me baigner sur la plage de Rhodes à vingt minutes de là. L’eau est claire, douce. Le soleil, au début de sa course, chauffe sans brûler. Instants délicieux qui me ramènent ces matins de la Madrague, il y a vingt ans, où je sortais ensommeillé de la tente, à quelques mètres de la mer pour plonger dans l’eau somnolente du matin. »

Si ce voyage effectué en pleine été, souvent sous une chaleur suffocante, est plus fatigant que le précédent, ainsi revenu à Athènes, il note simplement « Chaleur. Poussière » et ne lui permet pas de retrouver la magie du printemps et de ses effluves, il va revenir en France le cœur plus léger, ragaillardi par cette rupture avec Paris et ses détracteurs.

            
Andrée Fosty, Camus & la Grèce

Camus se sent attiré par le sens de la perfection des Grecs, « Tout ce que la Grèce tente en fait de paysages, elle le réussit et le mène à la perfection. » (Carnets, Delphes, 10 mai 1955). Cette perfection est l'expression de l'équilibre entre la nature et l'action de l'homme et prend ses racines dans ce paradoxe qui l'étonne : « Ce monde des îles si étroit et si vaste me paraît être le cœur du monde. »
Ces paysages sont pour lui le contraire du Brésil qu'il juge immense et étouffant. Toutes ces îles recomposent un monde spécifique qui tend à la perfection née d'une subtile conjonction entre terre, mer, ciel et hommes, ce qui lui fait dire à Délos : « Je peux regarder sous la droite et pure lumière du monde le cercle parfait qui limite mon royaume. »

Pour lui, comme il le note dans le tome III de ses Carnets, la Grèce représente « comme une île énorme couverte de fleurs rouges et de dieux mutilés dérivant inlassablement sur une mer de lumière et sous un ciel transparent. Retenir cette lumière, revenir, ne plus céder à la nuit des jours. »
Il a en quelque sorte reconnu son royaume et son exil finira très bientôt dans sa thébaïde de Lourmarin qui possède comme un air d'Algérie.

Voir aussi
*
Pour des détails sur le voyage de 1958, du 9 juin au 6 juillet, voir Camus au jour le jour 1958 et le cahier VIII des Carnets
* Le voyage en Grèce dans les Carnets --

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